DU LOURD, DU BRUTAL
Quoi de plus étrange sur les écrans de cinéma qu'un homme torche, un Viking lanceur de marteau géant ou un ancien espion aux griffes d'acier longues comme un débouche-évier? Rien, à part peut-être un architecte. Après la Chose, l'Incroyable Hulk ou la Sorcière rouge, rencontrez The Brutalist, super-héros venu changer le monde par la force du té et de l'équerre (lire p. 22). C'est du lourd, c'est du brutal: l'architecte vu par Brady Corbet est un alien bien plus intrigant que tous les super-héros de Marvel. Et ce, sans la moindre piqûre d'araignée radioactive: il lui aura suffi de s'inscrire au Bauhaus! Tenu pour un chef-d'œuvre par les critiques de cinéma, le film a provoqué des crises d'urticaire chez les critiques d'architecture", le jugeant irréaliste et mal informé. Le réalisateur et la scénariste comptent pourtant des parents dans la profession; ils ont consulté des personnalités du rang de Jean-Louis Cohen. Les contresens, nombreux, sément le doute sur la nature des conversations entretenues avec les historiens, tout comme les clichés qui émaillent le film. Il serait dangereux que certains se répandent chez les maîtres d'ouvrage, Non, l'architecte n'abandonnera pas une partie de ses honoraires pour payer votre verrière! Certes, rien n'obligeait le réalisateur à faire de l'architecture davantage qu'une toile de fond. La déception vient de la promesse, rare, de donner le premier rôle à l'architecte, tout en le comprenant si mal. Corbet reconduit l'image du démiurge surplombant la société, ignorant que l'architecte partage désormais son «pouvoir avec tous les acteurs de la commande, lesquels n'entendent pas jouer les figurants. Finalement, si cette vision erronée persiste, c'est peut-être que personne n'aimerait voir tomber de son piédestal cette figure capable d'orienter nos destinées en structurant nos espaces. Un point du film reste en suspens: qui est le brutaliste? Le style architectural, devenu très populaire malgré ses contours flous? L'architecte qui s'impose? Ou le client, qui s'impose à son tour de la façon que l'on sait? Un promoteur brutal qui s'immisce partout, c'est Donald Trump, vu dans The Apprentice, d'Ali Abbasi, film reprenant le nom d'une émission de téléréalité que le magnat de l'immobilier ponctuait de You are fired!» (vous êtes virés). Un slogan télévisuel devenu programme présidentiel qu'il menace d'appliquer à l'architecture brutaliste et moderne, et là, ce n'est plus du cinéma.
Olivier Namias, rédacteur en chef
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DU LOURD, DU BRUTAL
Quoi de plus étrange sur les écrans de cinéma qu'un homme torche, un Viking lanceur de marteau géant ou un ancien espion aux griffes d'acier longues comme un débouche-évier? Rien, à part peut-être un architecte. Après la Chose, l'Incroyable Hulk ou la Sorcière rouge, rencontrez The Brutalist, super-héros venu changer le monde par la force du té et de l'équerre (lire p. 22). C'est du lourd, c'est du brutal: l'architecte vu par ...
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