A+ - 309 août. -sept. 2024
« Ne jamais démolir, ne jamais déplacer ou remplacer, toujours ajouter, transformer et réutiliser, avec et pour les habitants. » La philosophie d'Anne Lacaton (Lacaton & Vassal) devient un point de départ pour un nombre croissant d'architectes, surtout lorsqu'il s'agit d'immeubles d'habitation ou de bureaux moyens qui, dépourvus de valeur historique ou culturelle, sont rapidement en proie à la démolition.
Les bâtiments institutionnels et symboliques tels que les églises sont souvent si étroitement liés à l'histoire et à l'identité d'un lieu et de ses habitants qu'une démolition n'est pas envisageable. Toutefois, lorsque la fonction d'une telle construction s'étiole, quelle nouvelle affectation peut-on lui donner ? Et lorsque cela se passe idéalement en concertation avec les habitants ou riverains et pour eux, comment s'y prendre ? Cela fait bien longtemps que les villes, villages et quartiers ne sont plus ces communautés homogènes où tout le monde partage une même histoire, une même culture et une même religion. Ce qui, aux yeux de certains, sera une recontextualisation évidente sera considéré par d'autres comme un sacrilège.
« [Une église paroissiale] exprime une culture et une histoire qui, jusqu'à aujourd'hui, définissent notre condition humaine », écrit Erik Wieërs dans Herscheppen, le compte rendu d'une étude de la Team Vlaams Bouwmeester sur la réaffectation des églises en Flandre (p. 17). En outre, dans une société sécularisée, certains nouveaux programmes ne s'avèrent pas vraiment adéquats. Ce sont les églises susceptibles de rester ce qu'elles ont toujours été – à savoir un lieu de rencontre local – qui ont le plus de chances d'être intégrées et adoptées. Les réaffectations de l'église Heilig Hart à Mont-Saint-Amand en maison de quartier (p. 8) et de l'église Notre-Dame des Douleurs à Wavre-Sainte-Catherine en bâtiment scolaire (p. 27) ne sont que deux exemples parmi de nombreuses autres réussites.
Tandis que la polémique initiale autour de la réaffectation des églises a perdu de sa virulence, les rénovations d'autres bâtiments iconiques ou de monuments emblématiques touchent de plus en plus une corde sensible. L'esprit actuel d'antiracisme incite diverses instances à décoloniser l'espace public. Dans le sillage des manifestations contre le racisme qui ont eu lieu partout dans le monde à la suite du décès de George Floyd en 2020, la Région de Bruxelles-Capitale a constitué un groupe de travail qui a publié en 2022 des recommandations pour identifier, contextualiser, supprimer ou transformer les symboles évoquant les atrocités perpétrées dans les colonies belges au Congo et au Rwanda. L'intervention de Traumnovelle sur le monument du Congo au parc du Cinquantenaire de Bruxelles (p. 60) est une des premières réalisations qui ouvre le débat sur un patrimoine architectural teinté de souvenirs traumatisants.
La manière de traiter le « patrimoine difficile » (difficult heritage) est un thème international de plus en plus actuel. En 2023, le collectif DAAR (Decolonizing Architecture Art Research) a remporté le Lion d'or à la Biennale d'architecture de Venise avec une contribution sur l'appropriation critique et la réutilisation de l'architecture fasciste de Mussolini. Cette même biennale a également consacré le travail de Sammy Baloji, Bruxellois originaire de Lubumbashi. Dans son film Aequare: the Future that Never Was, il présente jusque dans des détails absurdes l'annexion territoriale et culturelle de l'Afrique par les colons occidentaux : de l'architecture européenne déliquescente ne résistant apparemment pas au climat extrêmement humide aux scientifiques désorientés dégoulinant de sueur dans leurs cols amidonnés. Ce magnifique film a directement inspiré ce numéro d' A+ consacré à l'identité et à l'iconicité.
Comment une ville ou une nation aborde-t-elle un héritage qui commémore des atrocités ? En tant que société, comment gérer les symboles publics qui rappellent un passé qui nous fait honte, tel que l'esclavage, l'exploitation ou les abus à grande échelle ? Dans ce sens, les églises font peut-être également partie du « patrimoine difficile ». C'est évidemment aussi le cas de la maison qu'occupait le meurtrier et violeur en série Marc Dutroux à Marcinelle. Après environ trois décennies, Réservoir A, en déployant des trésors de prudence et d'empathie pour le chagrin individuel et la honte collective, a transformé ce lieu particulièrement chargé en un lieu serein de commémoration ayant une valeur emblématique pour toute la communauté (p. 72). Un bel exemple de la façon dont la dimension idéologique et sociale de l'architecture peut s'exprimer avec brio dans un petit projet tel que celui-là.
Langue : Français ; Néerlandais
N° revue : N°309 -2024
Niveau d'autorisation : Public