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A+ - 310 oct. -nov. 2024

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Sommaire de revue

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18/12/2024

100 p.

1375-5064

MATERIAU

Édito
Rotor - Rédacteur·ice en chef invité·e
Est-ce qu'une curiosité pour l'origine et la destination des matériaux de construction peut enrichir l'architecture ? C'est en tout cas une hypothèse qui nous anime depuis les débuts de Rotor. Nous avons voulu profiter de l'occasion qui nous était offerte d'enfiler la casquette de rédacteur·ice en chef invité·e pour la remettre ici au travail.

Cette curiosité pour l'organisation des flux de matériaux et de déchets, nous l'avons alimentée de nombreuses façons à travers nos projets – depuis des enquêtes de terrain jusqu'à des tentatives de conceptualisation à travers des publications et des expositions, en passant par des projets d'aménagement (qui nous ont permis d'expérimenter à petite échelle d'autres façons de concevoir) et même le lancement d'une activité de revente de matériaux réutilisables (qui nous a permis d'explorer comment développer de nouveaux circuits d'approvisionnement en matériaux). Il y a un sujet en particulier qui s'est avéré bien commode pour nourrir nos analyses, celui du réemploi des matériaux.

Intégrer la question du réemploi des matériaux dans un processus de projet oblige souvent à ouvrir toute une série de boîtes de Pandore, qui déterminent en profondeur la pratique de l'architecture, mais qui sont rarement remises en question. Des standards techniques aux méthodes de conception, de la division du travail à la question des responsabilités, de la façon d'organiser les marchés publics à la façon de financer un projet, prendre au sérieux le réemploi demande de repenser tous ces aspects. C'est à la fois un fardeau et une vertu. Fardeau, parce que la remise en question n'est jamais simple. Vertu, parce que cela permet d'esquisser des alternatives potentiellement émancipatrices sur les plans professionnel, social et écologique.

Il serait cependant trompeur de considérer le réemploi comme une solution en tant que telle. En soi, rien ne prémunit le réemploi – et plus largement les pratiques dites de « construction circulaire » – contre des formes de gaspillage, d'exploitation et d'aliénation. Il est sans doute utile de rappeler que la récupération des matériaux a prospéré dans des contextes que tout oppose. La pratique est attestée dans des formes de spéculation urbaine particulièrement débridées (le Paris du Second Empire, par exemple) tout autant que dans les recherches de modèles anticapitalistes menées par les mouvements de contre-culture (les communes autonomes aux États-Unis dans les années 1970, par exemple). Ce qui fait la différence, ce sont bien sûr les rapports sociaux dans lesquels vient s'inscrire cette pratique (le rapport au travail, à l'économie, etc.). Et si la pratique peut initier des transformations dans ces rapports sociaux, elle est elle-même déterminée en partie par ces derniers. Dans ce numéro spécial, nous avons voulu montrer à quel point les pratiques dites « circulaires » restent aujourd'hui largement enchevêtrées dans des rapports socio-économiques développés autour des flux de l'économie « linéaire ». Ce sujet est au cœur de la discussion entre Jane Hutton et Lionel Devlieger, qui pointe l'importance d'étudier des flux de matériaux dans leurs dimensions historiques, écologiques et sociales [p. 11]. C'est également le sujet au cœur de l'exposition Entangled Matter et de la commande faite à cette occasion par Rotor au duo de cinéastes Ila Bêka et Louise Lemoine, dont sont extraites les images présentées à partir de la page 111.

Nous avons également souhaité entrouvrir quelques-unes des boîtes de Pandore que le réemploi rend tangibles. Parmi celles-ci, Pierre Chabard aborde la question de l'esthétique, à ce jour encore peu discutée et pourtant si chère à la discipline architecturale [p. 23]. Sur un autre plan, la question du financement des circuits alternatifs de production de matériaux a été abordée à l'occasion d'une table ronde dont Lisa De Visscher offre ici un compte-rendu [p. 77]. Enfin, la question de la nécessaire évolution des politiques publiques – notamment en matière de maintien des bâtiments existants – est discutée par Kristiaan Borret, maître architecte de la Région bruxelloise [p. 59].

Plus largement, nous voulions explorer quelques-unes des thématiques qui permettraient d'ancrer plus durablement le réemploi dans une perspective de transformation profonde des pratiques du secteur de la construction. L'une de ces thématiques est celle de la maintenance et des logiques de soin, qui sont abordées dans un article de Pauline Lefebvre [p. 33]. Une autre est le sujet du low-tech et, par extension, la nécessité de repenser notre rapport à la technique et à l'innovation, un sujet abordé par Thomas Vilquin [p. 69].

Pour finir, nous avons aussi souhaité donner de la profondeur aux débats actuels sur le réemploi. Pour ce faire, il nous a semblé important de prendre en compte l'épaisseur historique de ce sujet. Nous esquissons un mouvement dans ce sens à travers la présentation de quelques livres sur le réemploi parus ces cinquante dernières années [p. 93]. La photographe Delphine Mathy offre un aperçu de quelques entreprises spécialisées dans la récupération des matériaux à travers un reportage photographique inédit. Celui-ci permet d'ancrer les discussions en tenant compte des spécificités actuelles de ce secteur [p. 43]. Enfin, nous voulions également évoquer les risques d'érosion du potentiel critique du réemploi. Ce sujet est abordé dans la pièce d'opinion proposée par le philosophe Philippe Simay en clôture de ce numéro [p. 87].

URL lien : https://a-plus.be/fr/revue/special-by-rotor-material-flows/

Langue : Français ; Anglais

N° revue : N° 310 - 2024

Niveau d'autorisation : Public

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